Ce site web ne supporte plus Internet Explorer 11. Veuillez utiliser un navigateur plus récent tel que Firefox, Chrome pour un meilleur affichage et une meilleure utilisation.

Henri Suter, ancien directeur du FiBL, s'est éteint

Henri Suter

Henri Suter, directeur du FiBL de 1981 à 1989. (Photo: FiBL)

Henri Suter est décédé subitement le 19 juin à l'âge de 76 ans. Il a été directeur du FiBL de 1981 à 1989.

C’est avec une profonde tristesse que nous avons appris le décès soudain du Dr Henri Suter, ancien directeur du FiBL Suisse. Henri Suter a contribué de manière exceptionnelle au développement du FiBL Suisse dans les années 1980 et nous lui en sommes toutes et tous reconnaissants. Nos pensées vont à sa famille.

Au nom du conseil de fondation, de la direction ainsi que des collaboratrices et collaborateurs du FiBL,

Bernard Lehmann et Knut Schmidtke

Hommage de Urs Niggli, ancien directeur du FiBL

Le 19 juin, Henri Suter (Heinrich Christian Suter) est décédé subitement à son domicile à Wohlen AG. Il a pris la direction du FiBL au printemps 1981, succédant à Hartmut Vogtmann, qui avait été nommé à une chaire à l’université de Witzenhausen en Hesse. Or, il avait déjà été en contact avec le jeune et encore très petit FiBL à Oberwil BL en tant que senior scientist de l’ancienne Station fédérale de recherche en production végétale de Zurich-Reckenholz (FAP, aujourd’hui Agroscope). La prouesse scientifique de Henri Suter dans les années 1970 a permis d’introduire avec succès une méthode de lutte biologique contre la pyrale du maïs à l’aide de guêpes parasitoïdes du genre Trichogramma. Ses élevages de trichogrammes ont constitué la base d’une production suisse de maïs restée, jusqu’à aujourd’hui, exempte d’insecticides. Cette méthode est en train de s’imposer également dans les cultures à grande échelle dans les pays de l’UE. En effet, grâce aux drones, le lâcher de ces insectes utiles dans des boules à base d’amidon est devenu économiquement intéressant même pour d’immenses surfaces de maïs. À l’origine, on collait les auxiliaires sur de petits cartons que l’on accrochait à la main aux jeunes plants de maïs à une distance donnée.

Avec Jean Marc Besson, Henri Suter a été l’un des premiers scientifiques de la Confédération à chercher le contact avec l’idée de l’agriculture biologique et le FiBL. Il a conseillé l’équipe du FiBL lorsque les premiers essais en plein champ ont été lancés au Bruderholzhof à Oberwil en 1975. Grâce à lui, le site initialement choisi pour mener un essai comparatif de longue durée, à savoir un terrain légèrement accidenté présentant une dépression, a été remplacé en 1976 par le terrain relativement homogène et plane où se trouve aujourd’hui encore l’essai DOC. Il s’agissait d’une intervention de grande envergure, car les différences entre les méthodes de culture bio-dynamique, organo-biologique et conventionnelle n’auraient probablement pas été statistiquement significatives sur le premier site. Aujourd’hui, l’essai DOC est un classique de la recherche du FiBL. Au début des années 2000, les publications du FiBL sur l’essai DOC ont impacté de manière significative l’évaluation par la communauté scientifique de l’impact écologique de l’agriculture biologique.

En 1981, lorsque le poste de directeur de l’institut était vacant, Henri Suter a quitté la Confédération et rejoint le FiBL à Bernhardsberg. Il existe de nombreuses photos de cette époque montrant Henri Suter et sa jeune équipe dans l’environnement simple de la villa de l’industriel Stamm plutôt vétuste. Ils compensaient le manque d’infrastructures et d’installations scientifiques et techniques par leur engagement et leur enthousiasme. Les scientifiques du FiBL ont approfondi le sujet de la protection biologique des plantes. Ils ont examiné la qualité des produits biologiques en se concentrant sur les phytoalexines. Ils se sont rendu compte que les plantes, lorsqu’elles n’étaient pas protégées par des fongicides, produisaient des substances végétales secondaires pour se défendre contre les maladies, substances qui avaient également un certain impact sur la santé humaine par le biais de l’alimentation. Par ailleurs, Henri Suter avait de très bons contacts avec Migros. La Fédération des coopératives Migros venait de tenir un vote des coopérateurs pour décider si Migros devait inclure des légumes bio dans son offre. Cette initiative était née d’une rencontre entre le fondateur de Migros, Gottlieb Duttweiler, et le pionnier du bio Hans Müller. La proposition ayant été rejetée de peu, Migros a lancé son programme Migros-Sano, qui a donné lieu à la première production intégrée. Le FiBL, en tant qu’organisme de conseil, et Henri Suter, avec ses connaissances approfondies, ont soutenu le programme Sano pendant de nombreuses années (jusqu’en 1991). Sous la direction de Henri Suter, de nombreux essais portant sur la régulation des limaces ont été réalisés. La gestion de ce ravageur dans le maraîchage biologique repose aujourd’hui encore sur ces travaux et le livre contenant de nombreux exemples a été un best-seller permanent. Comme les demandes de jardiniers et d’agricultrices auprès du FiBL étaient de plus en plus nombreuses, Henri Suter a mis en place un service de conseil téléphonique deux après-midi/soirées par semaine. En outre, il a fondé la revue z.B., qui résumait les connaissances issues de la recherche en agriculture biologique sous forme d’informations pertinentes pour la pratique dans des éditions thématiques. La revue z.B. paraissait parfois toutes les deux semaines, sa mise en page était toujours attractive et son contenu riche. L’extension des axes de travail du FiBL à la biodiversité, qui a finalement valu à l’institut des mandats pluriannuels du canton de Schaffhouse dans le Klettgau en 1982, tenait particulièrement à cœur à Henri Suter. Dans le Klettgau, une région suisse de grandes cultures intensives, l’équipe du FiBL et les autorités schaffhousoises ont développé et testé différentes mesures. Celles-ci ont ensuite été en partie reprises à l’échelle nationale par l’Office fédéral de l’agriculture lors de l’introduction des paiements directs en 1992.

Henri Suter était un orateur talentueux. Au site de Bernhardsberg, il emmenait les visiteuses et visiteurs dans le parc sauvage et racontait des histoires sur l’équilibre de la nature qu’il fallait maintenir. En Autriche, il est devenu un prédicateur de l’agriculture biologique et de la durabilité, car Josef Willi, professeur à l’université d’Innsbruck, l’a invité à donner d’innombrables cours. L’agriculture biologique en était alors encore à ses balbutiements en Autriche et Henri Suter était une grande source d’inspiration. Ainsi a-t-il semé de nombreuses graines pour le futur boom du bio, qui a fait de l’Autriche le pays bio numéro 1 dans les années 1990.

En 1987, Henri Suter a rédigé un travail conceptuel pour la Société suisse pour la protection de l’environnement (SPE), proche de l’économie, duquel découlèrent les premières modélisations basées sur Excel de futurs scénarios écologiques et économiques pour l’agriculture suisse. À l’époque, la Suisse comptait quelque 600 exploitations biologiques, dont beaucoup étaient de petites exploitations horticoles. Henri Suter en a conclu que, malgré son excellence, l’agriculture biologique n’était pas praticable à grande échelle et resterait donc plutôt une niche. Il a développé l’idée d’une production intégrée plus stricte pour l’écologisation à grande échelle. Bien que Henri Suter se soit trompé sur le potentiel de croissance de l’agriculture biologique (aujourd’hui, la surface cultivée en bio est 11 fois plus élevée), ses déclarations selon lesquelles l’agriculture biologique serait probablement trop coûteuse pour l’ensemble de l’agriculture suisse sont toujours d’actualité. Au sein du FiBL, ses déclarations différenciées ont provoqué une grande colère, et en dehors de l’institut, on disait que même Henri Suter ne croyait pas en l’avenir de l’agriculture biologique.

Fin 1989, Henri Suter a rejoint l’Union suisse des paysans où il a pris la direction du service Durabilité. Après quelques années, il a quitté cette fonction pour devenir expert auprès de la Fondation Aga Kahn à Genève, qui gérait une grande fortune destinée à des projets dans le domaine de la durabilité. À partir de ce moment-là, il n’était plus présent dans l’agriculture suisse.

Henri Suter a rendu le FiBL et l’agriculture biologique juvéniles, modernes, et ouverts sur le monde, enlevant à cette dernière la lourdeur de l’époque des pionniers. Ce fut pour moi un plaisir de lui succéder à la direction du FiBL en 1990, après un bref intérim de Otto Schmid. Lors du 25e anniversaire de l’institut en 1998, Henri Suter a raconté, avec son éternel élan juvénile, dans quelle mesure le FiBL était, selon lui, source d’innovation pour la recherche et la politique agricoles. Il y a près de deux mois, j’ai eu plusieurs conversations téléphoniques avec lui, parce que l’équipe du FiBL souhaitait filmer une table ronde entre Hartmut Vogtmann, Henri Suter et moi-même, car nous avons marqué 46 des 50 années d’existence du FiBL. Malheureusement, cela ne s’est pas fait, ce qui m’attriste beaucoup. Je me souviens de chaque conversation, de chaque rencontre que j’ai eues avec Henri Suter au cours des 40 dernières années. Il avait une personnalité très impressionnante et originale, c’était un non-conformiste dans le sens positif du terme; il nous mettait au défi et il lui arrivait aussi de choquer. L’équipe du FiBL n’est pas prête de l’oublier et lui témoigne toute sa gratitude.

23 juin 2023, Urs Niggli